Ma douce et belle clairière - |PV|

Tout doucement, aussi lentement que passe les secondes, la nuit touchait à sa triste fin pour laisser place à un jour nouveau que je ne pouvais qu’espérer meilleur. Calme et couchée dans ma cage, je m’étais faites depuis longtemps à cet enfermement et les hurlements que je poussais se faisaient de plus en plus rare. J’avais même réussi à dormir, comme une sage louve que j’aurai du être. En ce début du jour, au même instant que les coqs les plus matinaux avertirent de leurs « cocorico » de l’arrivée du soleil, le loup aussi blanc que la neige tombant du ciel laissa place à une jeune personne aux cheveux blonds dont les nattes étaient défaites, dont le corps à la peau blanche et brûlante restait nu et visible de tous, dont les yeux bleus étaient humides de larmes. Ce corps, c’était le mien, ce loup, c’était moi aussi. J’étais une humaine dont le sort était de se changer en loup toutes les nuits et ce jusque la fin de sa vie. Prenant la couverture posée sous moi, possédant encore quelques poils tombés de ma fourrure blanche, je me recouvris tout le corps avec, avant d’appeler tristement Adam, le vétérinaire propriétaire de cette cage. Après quatre ou cinq appels de plus en plus intenses, Adam arriva dans sa tenue de nuit, un large tee-shirt muni d’un boxer, la tenue typique du célibataire. Il ouvrit la porte grillagée de ma cage avant que je ne lui saute dans les bras, des larmes s’écoulant abondamment sur mes joues.

C’est Fini Luna, c’est fini. Le jour est là.

Il me consola de ses mots, de ses « chut », de sa tendresse, son étreinte,… Adam était un grand habitué maintenant. Depuis trois ans maintenant, il devait subir ce genre de comportement plus de deux fois par semaine… Et ma triste humeur de tous les jours, il en avait autant l’habitude que mes larmes matinales. En parlant d’habitude d’ailleurs, je commençai la journée par une bonne douche, avant de me vêtir d’une jupe blanche à plusieurs voiles superposés m’arrivant aux genoux, par-dessous un dos nu blanc lui aussi aux coutures bleues. Une fois fait, je nouais ma ceinture en ficelle, bloquant mon ruban, glissant mes deux kunaï juste devant. Après ça, j’aidai mon ami vétérinaire avec ses animaux, particulièrement les chiens avec qui j’avais bon contact, évitant les chats qui avaient tendances à gronder à chacun de mes passages. La journée passait toujours vite à nourrir le mini refuges d’animaux blessés, à m’occuper des comptes et des dossiers sur ordinateur. Et une fois quatre ou cinq heure, Adam me laissait partir, me balader loin de la ville pour ensuite passer une nouvelle nuit dans la peau d’un animal…

Quand cinq heure sonna au vieux coucou dans la salle d’attente, j’étais en train de fermer la porte derrière moi afin de me rendre hors de la ville, dans la forêt noire, la petite clairière où mon ami m’avait trouvé trois ans plus tôt. C’était mon endroit favori, comblé de souvenirs et en général désert. Je n’y avais vu jusque maintenant qu’Adam, Solène et quelques petits animaux bons pour me nourrir… Mais c’était aussi un endroit idéal pour s’entraîner. Il fut cinq heure trente environ lorsque j’arrivai à lisière de la forêt. M’engouffrant avec une grande incertitude dans cette forêt sombre, il ne me fallut que quinze petites minutes pour trouver ma clairière tranquille. Une fois là, je retira directement le ruban de ma ceinture, le laissant se défaire de façon souple et légère jusqu’à toucher le sol. Le contact entre ma paume et la fibre de verre me fit un bien indescriptible. Avec de léger mouvements rotatifs, accompagnés par le doux vent de ce début de soirée, je fis doucement tourner le ruban en de petits cercles s’agrandissant de plus en plus. Plus les secondes passaient, plus j’accélérai le mouvement, plus les cercles devenaient grands. M’amusant à de jolies pas de danses, accordant mes mouvements à ceux du long ruban turquoise de presque six mètres.

La seconde d’après, j’employai ce long ruban à mon avantage, le transformant en arme prête à tout trancher. De façon agile, je transforma de long fil de soie en fouet au bout tranchant comme une lame de rasoir. D’un coup vif, les lames tranchèrent une branche d’un peu plus d’un centimètre d’épaisseur. Fière de moi, j’en tranchai deux autres du même arbre mort. Ensuite, je repris la douceur de cette objet entre mes mains, ainsi que la gymnastique rythmique. Il ne manquait que de la musique et un peu de temps avant la fin du jour pour que tout soit parfait…

Je continuais ma danse folle, m’épuisant du mieux que je le pouvais sur les dernières minutes qu’il me restait de pleine conscience. Mon ruban virevoltait fièrement au bout de ma main, de son bâton noir aux deux uniques lignes blanches. Je faisais toujours attention à ce que la lame en point au bout de mon ruban ne me touche jamais et ce depuis le début. J’avais beau avoir inventé ça pour me défendre, cela restait aussi dangereux pour moi que pour l’ennemi… Après divers nouvelles pirouettes, aimant chaque mouvement que j’effectuais, appréciant chaque brise frôlant mes joues. Pour une fois, la solitude me faisait du bien, malheureusement, cela ne dura que peu de temps.

Un bruit me fit arrêter tout mouvement, laissant ainsi retomber le fil turquoise retomber aux sol et faire briller les fils d’or au soleil. J’avais l’oreille attentive et l’œil perçant. La nuit approchait, j’allais me transformer en loup et quelqu’un ou quelque chose me surveillait. Le bruit était trop énorme pour provenir d’un lapin et trop léger pour une biche. Un oiseau ? Il se serait alors envolé haut dans le ciel. Et le petit truc en plus qui m’indiquait que je n’avais pas à faire à un animal était cette sensation dans tous mes membres, comme une présence bienfaisante…

Qui est là… ?

Apeurée mais toujours experte dans mes mouvements, je fis trois gestes suffisant pour ramener le bout de mon ruban entre les doigts, la lame précisément tenue entre mon pouce et mon index sur le plat. J’étais prête pour l’attaque. Il me suffisait de lâcher ce bout et de faire un mouvement. Si quelqu’un me voulait du mal, j’avais de quoi me défendre ! J’attendis, cherchant encore et toujours tout autour de moi après cette présence. Dans quinze petites minutes, il me faudrait ôter mes vêtements pour ne pas les abîmer et les poser sur leur pierre habituelle, accompagnés de mes armes précieuses. Si je ne savais pas bientôt qui veillait sur moi, j’allais déchiqueter ma tenue…

Montrez-vous !

Dernière tentative rationnelle pour trouver l’intrus sur ma jolie clairière. C’était certes un peu idiot, mais je ne savais pas trop quoi faire. Il fallait dire que jamais personne ne m’avait suivie jusqu’ici… Et si je fuyais ? Mais pour aller où ? En quinze minutes, il m’était impossible de rejoindre ma cage, même en courant… J'avais le coeur battant, beaucoup trop battant...

Après mes cris légèrement inquiets, quelqu’un daigna répondre de sa présence. Pas un mot, pas une souffle, juste une demoiselle s’approchant de moi dans un silence glacial, méfiant… Immobile, je l’observais de haut en bas sans pour autant la juger. Elle était à première vue plus grande que moi de cinq bons centimètres avec de longs et magnifiques cheveux noirs dont deux mèches sur chacun des côtés de son visage étaient attachées par deux rubans rouge sang. Elle était véritablement belle dans ses vêtements sobres qui la mettaient pourtant en valeur. Les morceaux de peau que je parvenais à percevoir, notamment les mains et le visage, détenaient une jolie couleur chocolat clair. A côté, je faisais quelque peu morte avec mon visage blafard et mes cheveux trop blonds.

Quoi qu’il en soit, il fallait réagir au lieu de demeurer statique l’une en face de l’autre. De plus, la nuit approchait vraiment et je n’aurai bientôt plus l’occasion d’ôter ma tenue pour éviter de la déchirer. Jugeant que je n’étais pas à en danger avec cette personne, je rangeai mon arme avant de m’approcher de cette jolie métisse, prête à lui tendre la main. Ce que je ne fis pas, évidemment. Quand je fus à bonne hauteur, environ deux mètres, je stoppa nette mon avancée lente et hésitante. J’espérais ne pas lui faire peur, mais surtout ne pas me tromper quand à mon idée sur sa nature sympathique ou non.

Vous devriez fuir… Il y a des êtres étranges et dangereux ici qui ne vont pas tarder à arriver…

Je disais ça sans me rendre compte que ça signifiait beaucoup de choses. Notamment que j’étais une habituée de ces lieux, que j’avais donc déjà vu venir ces créatures et peut-être même, en cherchant un peu, cette fille serait capable de deviner ma nature, ce que je ne voulais pas. Maintenant plus proche d'elle, je pouvais apercevoir la couleur dorée de ses yeux dont la peine et la rudesse se devinaient facilement. Elle était assez belle cette demoiselle et ses yeux si intenses, avec une couleur si unique... C'était comme si ils n'étaient pas humains... Mais je n'avais pas le temps de lui demander quoi que ce soit, il fallait que je sauve mes habits et m'éloigne d'elle, si je ne voulais pas l'attaquer une fois la nuit tombée...

Je suis désolée, je dois partir...

Faisant demi-tour, je la laissa là, seule avec pour seule vue mon dos vêtu de blanc. J'espèrais sincèrement qu'elle s'en aille loin d'ici, pour me laisser mettre mes affaires sur mon rocher habituel...